LA VIE ET LA SOCIETE LOCALE A ANOT
AUX 17 ET 18èmes SIECLES
Les métiers, le commerce, les échanges. Les Arts et Traditions Populaires.
La vie intellectuelle et religieuse.
Dès le 17ème siècle, Anot nous apparaît déjà comme une communauté relativement confortable pour l'époque. Dans la liste des nombreux procès relevés aux archives, nous notons un nombre impressionnant de métiers, fonctions diverses et statuts sociaux.
On relève déjà une équipe médicale complète ; en 1648, un chirurgien à Anot nommé Jean Tarpon et un apothicaire, Jean Laurens ; en 1687, un docteur Henri Maurin, puis en 1690, un docteur André Balthazar, donateur de 3000 livres à l'hospital de la Charité St. Martin d'Anot, construit en 1680. En 1704, un maistre-chirurgien Henri Philip officie au-dit hospital. Nous trouvons également au " Pays d'Anot " à partir du 16ème siècle, un cordonnier Antoine Roccas, un grand nombre de bergers, cultivateurs, travailleurs et ménagers, des cabaretiers en 1533, un régent d'école à Méailles, en 1645, un collecteur d'impôts en 1651, un écuyer, un fournier, un bourrelier, des bûcherons, des propriétaires, des bourgeois, des nobles, des barbiers, des perruquiers, des vachers, des blanchisseuses, des couturiers, des marchands drapiers, des marchands d'épices, des teinturiers, des gabeliers de viande, des muletiers, des lieutenants de juge, un juge royal, Henri Duprat en 1670, un viguier, un greffier du tribunal, un écrivain public, des prieurs, des colporteurs, des gabeliers d'état, des maréchaux-ferrants, des maréchaux à forge, un cardeur de laine, Henri Morin, un potier à étain, en 1688, Gaston Roux, un maistre-chapelier, A. Bernard, en 1681 etc….
En 1690, Mlle Marie Rabiers de Chateauredon, qui fut religieuse au couvent des Capucines à Marseille, fonda à l'âge de 22 ans, un cours scolaire gratuit pour les jeunes filles de la région. Nous sommes très fiers d'avoir retrouvé dans une collection privée de Marseille le livre rarissime, datant de 1754 où nous trouvons la vie de Sœur Marie de tous les Saints, née Marie Rabiers de Chateauredon, à Anot, en 1688. Nous en résumons quelques passages ayant trait tout spécialement à sa jeune vie annotaine avant de rentrer au couvent des Capucines où elle fut reçue comme novice le 24 avril 1692, à l'âge de 24 ans et elle décéda le 13 juin 1731 en chantant un cantique.
Nous apprenons déjà "que toute enfant, elle rassemblait autour d'elle toute une troupe de jeunes filles d'Anot et du voisinage et qu'elles se rendaient souvent à Vers-la-Ville pour y réciter le chapelet ; l'hospital d'Anot, l'hostel-Dieu, en 1690 était dans un grand état de négligence ; grâce à elle, la maison fut rapidement pourvue de tout ce qui peut figurer pour le soulagement des maladies ; de plus elle obtint, par son oncle, Messire Pierre Rabiers de Chateauredon, chanoine de la cathédrale de Fréjus, une pension de 100 livres en faveur de cet hospital en 1691 ; toute sa vie, enfin, fut une suite de travail vertueux et de pieuse miséricorde ; elle est citée dans l'ordre des religieuses capucines comme un exemple vivant et éternel" (La vie des premières religieuses capucines du monastère de Marseille, imprimerie Dominique Cibié, Imprimeur du Roy, 1754.)
(Voir sa vie complète dans : " Au pied du Baou sublime ").
Toujours dans le domaine religieux, la Confrérie des Pénitents Blancs de N.D. de la Miséricorde était présente dans nos murs depuis le 16ème siècle. Leurs missions premières était l'action charitable et le secours aux familles et l'ensevelissement des morts. Dès le 17ème siècle, leur statut social leur permit d'élever contre l'église paroissiale, côté nord, la Chapelle portant le nom de leur Société ; nous avons retrouvé trace, dans les archives de Digne, de l'acte de promesse du "Mestre-painctre" François Mimault, d'Aix, en réponse à la commande des recteurs de la Confrérie d'Anot:
" PROMESSE POUR LES PENITENTS BLANCS DE LA VILLE D'ANOT DE FRANCOIS MIMAUD Me PAINCTRE D'AIX
L'an mil six cent quarante et ung et le vingt cinquièsme jour du mois d'octobre advant midy, constitué en personne François Mimaud, Me painctre d'Aix, lequel de son gré a promis et promect à Messires Pierre Carbonnel et Anthoine Rouchais, recteurs et aultres confraires pénitents blancz de la Chapelle de Nre Dame de la Mizéricorde de la ville d'Anot, absantz, de leur faire bien et debvement ung retable de treize pans d'hauteur et neuf de largeur ou sra depainct lez images de Nre Seigneur, l'hors qu'on le dessandit de la croix, Nicodème et Joseph de baramatie, lez trois Maries, Sainct Jean l'esvangélliste, la glorieuse Vierge Marie au pied de la croix, le portrait du Roi et ung fre (frère) penitant de chasque coousta, blanc… entre ycy et lez festes de Nouel prochaisnes, que lez dictz recteurs seront tenus venir prandre et récepter à leurs despans en ceste ville d'Aix au-dict terme, moyennant la somme de six cent livres… "
(Au pied du Baou sublime: page 22. J-L Damon- Ed. Serre 1990)
Nous pouvons imaginer le "périple" que durent accomplir nos frères Pénitents pour ramener cette immense et pesante toile, d'Aix à Annot, le tout à dos de mulet, bien entendu. Ce splendide retable trône toujours dans cette chapelle et nous ne saurions trop vous inciter à le découvrir ou le redécouvrir, car son histoire est plutôt mouvementée…
Si vous vous approchez suffisamment du tableau, vous pourrez lire presque au bas deux phrases curieuses: Dénaturé par Galoti, maçon. Restauré par G. Féraud d'Annot 1838.
Cette inscription, plus que sibylline au premier abord est en fait tout à fait claire lorsqu' on connaît l'histoire.
Dans le premier tiers du 19ème siècle, sous le ministère de Messire Clair Balthazar Roccas, né à Annot le 2 janvier 1759 et décédé le 18 octobre 1843, à l'âge de 85 ans, Curé de la Paroisse d'Annot, de 1817 à 1840, le Recteur de la Confrérie des Pénitents Blancs décida de rafraîchir sa Chapelle ; après accord du Curé, il se mit en rapport avec un maçon du pays, M. Galoti ; ce brave homme sans doute davantage intéressé par le blanchiment de l'intérieur de la Chapelle que par les oeuvres d'art qui la tapissaient, n'a pas jugé utile de protéger le retable de Mimault et quelle ne fut pas la stupéfaction du Recteur de le trouver conspué de minuscules mais innombrables éclaboussures de lait de chaux vive.
Devant la catastrophe, un Annotain, M. G. Féraud, menuisier et Frère Pénitent, qui fut plus tard l'auteur de la croix du Sacrifice sur la place de l'Eglise, décida de nettoyer ce tableau ; ce dur labeur exécuté, ayant sans doute la rancune tenace après le " saboteur Galoti ", il se permit d'inscrire pour l'éternité l'inscription en question.
De nouveau restauré, il y a quelques années, l'artiste restaurateur, M. Bourgoin, a trouvé judicieux de laisser intacte l'inscription de Féraud et nous l'en félicitons, car si ce tableau appartient à notre patrimoine, sa petite histoire, aussi.
Concernant les arts, nous devons noter l'existence d'un artiste-peintre annotain Jean ANDRE, né à Anot, rue de la Boucherie vers 1620. Ce maître peintre exécuta entre-autres une toile encore présente à la Chapelle de Vers-la-Ville, qui représente l'Annonciation faite à la Vierge Marie par l'Ange Gabriel, pour lui annoncer le mystère de l' Incarnation.
Jean André exécuta environ une trentaine de toiles, répertoriées de grandes dimensions, dont une grande partie se trouve dans la région de Puget-Théniers, de Castellane, de Guillaumes, de Colmars, Barrême et bien sûr d'Annot, ainsi qu'à Apt et à Orgon.
Une exposition d'une grande partie de son oeuvre a eu lieu au Palais Lascaris à Nice en 1979.
Si cela vous intéresse, une galerie de ses oeuvres pourrait être mise en place sur ce site dans l'avenir.
Au milieu du 18ème siècle, un de nos plus célèbres compatriotes fut Jacques Verdollin, notre député élu par la Viguerie d'Annot à l'Assemblée Constituante (future Assemblée Nationale), né à Annot dans la maison familiale (aujourd'hui, maison du Parc : familles Fabre-Artaud). Avocat, notaire, puis homme politique reconnu d'une grande sagesse, il fit partie des députés modérés qui ne votèrent pas la mort du Roi, mais son bannissement. Au hasard de ses nombreux discours et lettres, nous lui empruntons quelques lignes où il nous parle du "Pays d'Annot" vers 1790:
"Cet arrière-pays de la Riviera est l'un des pays des Alpes, qui est resté le plus longtemps et le plus hermétiquement clos ; des hautes montagnes élevées à 2000 m et 2800m (le Ruch et le Grand Coyer) encerclent les vallées ; des cols balayés par les vents et où la neige s'accumule l'hiver à partir de 1000 m d'altitude, donnent une pénible issue à de mauvais chemins muletiers, fermés pendant quatre mois et plus. D'autres, suivant les vallées bordées de précipices, sont couverts de verglas pendant la mauvaise saison et les muletiers qui ravitaillent le pays en produits de la Basse-Provence n'y aventurent plus leurs bêtes à partir d'octobre et n'y risquent plus leur vie ainsi que celles de leurs mulets. Aussi, les relations sont-elles rares avec les villes voisines: Colmars, Castellane, Riez, Digne et Marseille. L'altitude moyenne du "Pays d'Annot" est grande ; le climat y est rude, les terrains cultivés sont assez rares, trop souvent dévastés par les inondations de la Vaïre, mais surtout de la Beïte et autres vallons, qui, d'après les rapports d'affouagements, enlèvent les meilleures terres.
L'olivier pénètre très peu dans la vallée (La Coste et Vers-la-Ville) ; la vigne y est de peu de rapport, les pâturages l'emportent sur les terres labourables. Les céréales, les légumes, les châtaigniers, les noyers, poiriers et pruniers et les produits de l'élevage constituent le plus clair des ressources. L'industrie est familiale, locale: deux cents fileuses, une teinturerie, quatre fabriques de laine, plusieurs poteries et tuileries et une fabrique de drap.
Cependant, la ville d'Annot est un centre très actif de la vie sociale et intellectuelle. Ramassée sur elle-même, avec ses rues étroites et tortueuses, disposée pour une ultime défense, la ville d'Annot dans son corset rigide de remparts, groupait en 1789, 1300 habitants. C'est alors le chef-lieu d'une viguerie qui compte dix-huit communautés, depuis le traité du 24 mars 1760, à savoir le rattachement d'une partie de l'ancienne viguerie de Guillaumes. Elle est le siège d'une judicature royale, connaissant des procès civils et criminels. Aussi est-elle devenue le séjour d'un certain nombre de familles nobles, de membres du clergé, de quelques avocats, de quatre notaires, de nombreux bourgeois, médecins, chirurgiens de l'hôpital local, et négociants qui trouvent à Annot depuis 1750, un collège réputé où deux régents enseignent les humanités à leurs fils et qui forment les éléments d'une petite société instruite et policée, unie par les liens de familles à celles des cités voisines et garde avec la capitale de la Provence des relations régulières, autant que l'état des chemins le permet "
(Histoires et Histoire d'Annot, pages 34, 35, 36.)